mardi 10 juillet 2007

OU VA LE CONGO ?

Par Albert Kisonga Mazakala

1. L’ASPIRATION SECESSIONNISTE

Parmi les réactions significatives enregistrées à mon article, celle de M. Tshitalu Pilipili Ndunga, qui se dit être ami de M. Kengo, a retenu mon attention. Mon texte, très subtil dit-il, ne ferait que l’éloge de MM. Kabila et Kengo. Au sujet de ma dénonciation des chimères sécessionnistes, il écrit : « Si le Kasaï n’est pas viable à cause de l’animosité entre ses différentes ethnies ; si le Katanga n’est pas viable à cause de la rivalité entre le Sud travailleur (sic) et le Nord fainéant (resic), par quel miracle voulez-vous que le Congo s’en sorte ? ».



Je ne réponds pas à la dimension personnelle qui me concerne. Mais la manière dont il a posé le problème du Kasaï et du Katanga m’a paru particulièrement intéressant. En effet, j’ai souvent l’impression que certains d’entre nous oublient de se situer par rapport à l’histoire. Notre pays est totalement de création étrangère. Il est le fruit de la colonisation. C’est elle qui a permis de réunir les différentes ethnies ou tribus de notre pays, devenue une Nation dont nous sommes si fiers aujourd’hui.

La création des provinces congolaises, y compris le Bas-Congo qui avait pourtant connu par le passé une certaine unité territoriale incontestable, est donc un fait colonial en même temps que le Congo lui-même. Les limites des provinces furent tracées par le colonisateur, pour des raisons administratives, en même temps que les frontières du pays. S’il est vrai que les Bakongo parlaient déjà quasiment la même langue (hormis les Bayombe) et avaient les mêmes clans dans toutes les tribus, il demeure qu’ils n’avaient plus l’autorité centrale qu’ils avaient connue par le passé. C’est le colonisateur qui instituera cette province, quoi qu’en même temps, la colonisation consacrera la division des Bakongo entre plusieurs nouveaux pays coloniaux. J’évite de verser dans la caricature en m’abstenant d’évoquer les relations interethniques dans certaines parties du Congo avant la colonisation. En conclusion, je pense honnêtement qu’on ne saurait dissocier le sort des provinces de celui de la Nation. L’ensemble de l’édifice repose sur les mêmes fondations.

Le fait colonial nous a fait faire un saut de plusieurs milliers d’années dans l’histoire. Le colonisateur a créé un pays dans les normes d’une civilisation qui avait bâti des cathédrales depuis deux millénaires et avait entrepris la conquête du monde depuis Rome et Alexandre le Grand, alors que nous sommes des peuples casaniers, essentiellement pour n’avoir intégré ni la roue ni le gouvernail permettant de naviguer sur les océans. Au bout de moins de trois générations, le colonisateur nous a abandonné des pays que, manifestement, nous avons difficile à gérer pour des raisons évidentes. Etant donné que notre évolution naturelle, pour les plus évolués d’entre nous, est celle de la tribu, c’est donc avec la conscience tribale que nous sommes confrontés au terrible défi de gérer une réalité en avance de plusieurs millénaires.

Ce n’est pas dans un exposé succinct que nous pouvons tenter de mieux exposer cette idée. Quel que soit l’état d’arriération de nos pays, leur existence est devenue irréversible. Depuis plus d’un siècle que le Blanc s’est installé chez nous, le brassage des populations est devenu un phénomène constant, du fait de la création et du développement des agglomérations urbaines. Dès lors, il y a une frange de la population, dont j’ignore le pourcentage, qui échappe à la conscience tribale, du fait d’être le fruit des unions inter-tribales, voire interraciales. Cette fraction de la population compte et constitue le rempart contre une éventuelle balkanisation. C’est dommage qu’elle ne tente pas de se définir comme telle. Le pays aurait beaucoup à y gagner, d’après moi.

Il y a 15 ans que j’avais proposé, par exemple (hélas, dans l’indifférence générale), que les candidats à la présidence soient obligés de s’exprimer dans les quatre langues nationales.
Je crois donc avoir démontré que les provinces congolaises, telles qu’elles existent, ne sont concevables qu’au sein d’un Congo uni.

2. L’HOMME KENGO

Dans toute la littérature qui a été pondue pour critiquer mon article, je suis obligé de constater, la mort dans l’âme, l’incapacité à déroger à notre tendance si ancrée d’ignorer l’essentiel pour se focaliser sur l’accessoire. En effet, j’ai relevé que Kengo wa Dondo est le seul homme politique congolais à avoir préconisé la délocalisation des Banyamulenge loin des frontières du Rwanda. C’est une prise de position capitale qui témoigne de la hauteur des vues de son auteur, spécialement de sa stature d’homme d’Etat. Il est le seul politicien à avoir compris que la présence de ces compatriotes près du Rwanda constitue une menace permanente contre notre pays. Je crois que c’est le point fort de mon article, plus que l’accusation de haute trahison du Chef de l’Etat. En effet, le Président de la République n’est pas éternel. Il partira bien un jour. Par contre, les Banyamulenge sont là pour toujours, avec les problèmes qu’ils continueront à poser s’ils refusent de s’intégrer et continuent à servir de cheval de Troie au Rwanda.

M. Kengo avait eu le courage d’exprimer cette position en 1998 aux Etats-Unis, au moment où le monde entier buvait la propagande de Kigali comme du petit lait. J’en fis part au Président Laurent Désiré Kabila et aux membres de son entourage, dont Yerodia, sans la moindre réaction. Vraisemblablement, les intéressés n’avaient pas réalisé la hauteur de cette proposition ou, pour des raisons politiciennes, avaient refusé de la considérer. Par conséquent, s’il est possible de brider quelque peu notre émotivité élevée, c’est le sujet qui devrait soulever des discussions, à mon humble avis, à l’égard des enjeux auxquels est confronté le Congo, enjeux susceptibles de mettre en péril son existence dans ses frontières internationalement reconnues.

3. L’EQUATION RWANDAISE

Les relations entre les Congolais et les Tutsi à l’époque coloniales s’étaient construites sous le sceau de l’ambiguïté. Le « Rwanda Urundi » étant passé sous tutelle belge suite à la défaite de l’Allemagne à la fin de la première guerre mondiale, c’est le personnel congolais qui avait accompagné la Belgique dans l’administration de ces deux pays. Aussi, sur l’échelle sociale, les auxiliaires congolais de l’administration venaient avant les autochtones, même si ces derniers avaient conservé leurs fières monarchies traditionnelles. Les Tutsi ne se permettaient jamais, malgré leurs ressemblances physiques, à ravaler les Congolais au rang des Hutu qu’ils méprisaient.

Mais à partir du moment où ils perdirent le pouvoir au Rwanda et se réfugièrent massivement au Congo, ils furent amenés à avoir un autre regard sur nous, après l’indépendance. C’est ainsi qu’ils conçurent le projet de mettre la grappe sur le Congo, pays considéré par eux comme sans élites. Beaucoup d’entre eux ne considéraient la reprise du pouvoir au Rwanda que comme une question d’honneur, le véritable enjeu d’avenir étant le Congo.

Nos voisins sont tributaires d’une culture de conquête. Ils aiment conquérir non seulement pour acquérir de l’espace mais pour dominer. Ils ne conçoivent les relations avec autrui que sous le rapport de maîtres à serviteurs. Leur idéologie est basée sur la supériorité supposée de leur race « svelte, de grande taille, les traits fins». Ils exaltent le militarisme. Ils ne sont pas très portés sur le sexe et font généralement peu d’enfants. Ils se marient tard, presque jamais avant la trentaine. Ils forment et emploient leurs femmes comme élément important de pénétration d’une société qu’ils envisagent de conquérir ou de dominer.

Leur supériorité sur les Bantous est qu’ils sont toujours en position d’attaque, ces derniers se faisant toujours surprendre parce qu’une fois qu’ils ont épousé leurs filles, ils croient que la relation de sang est un gage de paix. Ce sont des gens qui ont l’art de la stratégie. On les accuse maintenant d’avoir eux-mêmes planifié le génocide et d’avoir réussi la prouesse d’en charger leurs victimes, faisant preuve d’une intelligence plus diabolique que les Nazis eux-mêmes. Il suffit de voir la manière dont ils ont pris la présidence de la Banque africaine de développement et la vice-Présidence de l’Union africaine. Depuis, l’UA a pris le contre-pied de sa devancière l’OUA qui avait consacré l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Si on n’y prend garde, ils vont faire imploser l’Afrique. Quel est, en effet, le pays dont au moins une ethnie n’a pas été séparée par une frontière coloniale ? Même dans la vieille Europe, il y a des peuples, comme les Basques dont on parle tant actuellement, écartelés entre la France et l’Espagne. Qui irait dire à ces pays de réviser leurs frontières ?

Leur stratégie sur le Congo avait été contrariée par Laurent Désiré Kabila. Mais ce sont des gens qui ne s’avouent jamais vaincus. Ils ont réussi la prouesse de nous fabriquer une ethnie, les Banyamulenge. Qu’on le veuille ou non, c’est un groupe qui s’est ajouté à l’ethnographie du Congo. Mais les Banyavyura qu’ils avaient créés après les Banyamulenge ont disparu. C’est donc un échec pour eux.

Ils ont incontestablement réussi à infiltrer le pouvoir à Kinshasa. Au Kivu, leur présence militaire ne s’est jamais démentie et ils entretiennent diverses milices dont le rôle est de briser la résistance de la population par la terreur et de pratiquer l’épuration ethnique, de manière à repeupler les terres évacuées par des populations venues du Rwanda. Cette stratégie semble avoir bien marché à Masisi. Un habitant de Goma m’a dit au téléphone que n’eut été la présence de la Monuc, le drapeau rwandais serait déjà hissé à Masisi.

A Rutshuru, la situation est encore contrôlable grâce à la résistance des autochtones hutu congolais. Cette population a évidemment durement été éprouvée par le contre génocide pratiqué par le Fpr sur le territoire congolais. Il faut souligner aussi qu’il bénéficie d’un excellent leadership avec des personnes comme Sekimonyo, Nyabirungu, Kanyakogote, Mutiri etc. Ces hommes sont des véritables patriotes qui croient en l’unité de leur pays, malgré les humiliations et les attaques qu’ils durent longtemps subir de la part de certains politiciens irresponsables du Kivu. N’eut été l’action de ces hommes auprès de la population, on parlerait aujourd’hui d’autre chose au Nord-Kivu.

Que des représentants de ces populations dont le rôle est décisif à l’étape actuelle de notre histoire pour préserver l’unité nationale soient absents du gouvernement traduit le degré d’irresponsabilité des détenteurs du pouvoir à Kinshasa, ou leur complicité avec le Rwanda. Car, justement, Kigali fournit un effort immense pour convaincre les Banyabwisha (habitants de Rutshuru), d’opter pour l’annexion au Rwanda en raison des liens historiques et linguistiques. C’est pourquoi ces derniers récusent absolument l’appellation « Banyarwanda » laquelle d’après eux n’a de fondement ni historique ni linguistique. Leur langue, disent-ils, est le Kihutu, que les Tutsi adoptèrent à leur arrivée au Rwanda et au Burundi, ce qui est reconnu par tous les auteurs.

Le Rwanda sème la désolation au Congo depuis 11 ans, sans encourir la moindre conséquence sur son territoire. Il est à craindre que la résistance des populations finisse par s’émousser, étant donné l’ampleur et la persistance de la terreur des milices à la solde de Kigali au Kivu.
Tant qu’à Kinshasa il y a un pouvoir consciemment ou inconsciemment complice, l’avenir du Congo n’apparaît pas sous le meilleur signe. Il y a de quoi à s’inquiéter car il ne faut pas oublier que les mêmes conquérants d’aujourd’hui, lorsqu’ils partageaient le pouvoir avec Mobutu, avaient fait mener par des Américains en 1985 une étude qui avait conclu à notre incapacité à gérer un espace. Or, malheureusement, on voit que l’après Mobutu est pire que sous Mobutu. La gouvernance n’est que davantage corruption, prédation, népotisme et violation des droits de l’homme. Or, pour les Américains, le fait qu’on soit natif ne confère des droits que lorsqu’on travaille pour l’intérêt de la communauté. C’est un peuple d’immigrants. Si on n’y prend garde, ils pourraient revenir à l’idée de confier le leadership aux Tutsi, idée qu’ils durent abandonner non seulement à cause de la résistance du Kivu mais également de la forte personnalité du Président Laurent Désiré Kabila.

Une précision : je n’ai personnellement rien contre les Tutsi. Mais il faudrait qu’ils évoluent, qu’ils comprennent qu’aucun être humain n’accepte d’être méprisé et qu’ils veuillent se soumettre aux règles démocratiques. Là où 4 millions des Blancs en Afrique du Sud ont dû accepter de céder le pouvoir politique à 20 millions des Noirs, pourquoi 7 cent mille Tutsi croiraient-ils fondés à maintenir leur domination sur 7 millions de Hutu ? Je leur reconnais des qualités que nous n’avons pas, notamment la solidarité, le sens d’organisation et la discipline de groupe. Chez eux on accepte facilement de soutenir celui qui émerge du groupe, alors que chez nous tout le monde lui tire dessus. Ils pourraient certainement apporter un plus dans la culture de gestion au Congo mais cela passe par l’intégration. Ils doivent vivre avec les autres et se vouer un respect mutuel. Même s’ils ont des appuis outre-atlantique, personne n’accepterait aujourd’hui au 21ième siècle qu’un peuple traverse la frontière et assujettisse un autre au seul motif qu’il se croit supérieur.

Dernière question : pourquoi visent-ils seulement le Congo alors qu’ils sont dans tous les pays de la région ? C’est parce que le Congo est le maillon faible de la chaîne. La faiblesse du leadership congolais est phénoménale, essentiellement pour des raisons historiques. Tous les segments de notre population n’ont pas eu la même évolution historique. Je ne voudrais pas m’étendre sur un sujet qui fâche, mais je suis convaincu que c’est la raison essentielle qui explique le manque d’engagement des élites à l’intérêt général, singulièrement des gouvernants. Et puis, il y a des accidents de l’histoire. En 1960, pour saboter notre indépendance, on avait éliminé les leaders nationalistes, remplacés par des ambianceurs. Dans les rangs de l’Afdl, il y a notamment des gangsters, des gens ayant commis des assassinats et des vols à main armée, qui sont arrivés dans les rouages essentiels de l’Etat. Dès lors, la gestion publique ne pouvait que s’en ressentir.

Ailleurs, en Tanzanie par exemple, les Tutsi sont expulsés comme dans la région d’Akagera où ils ont pourtant des droits historiques, sans que les Américains et les Anglais ne lèvent le petit doigt. Ne serait-il pas envisageable que cette opération soit destinée à accroître le nombre des Tutsi au Rwanda, quitte à envoyer au Congo les Hutu dont les terres sont actuellement en train d’être spoliées ?

Quelques questions :
- Premièrement, pourquoi, malgré les nombreux et horribles crimes commis par les soldats rwandais contre les populations congolaises, il n’y a ni musée ni mémorial construit par le gouvernement pour entretenir la mémoire collective ? Pourtant, le même gouvernement a bien construit un mausolée, ce qui est légitime, pour honorer la mémoire de feu le Président Laurent Désiré Kabila.
- Deuxièmement, pourquoi, malgré la tradition congolaise de voir les musiciens marquer les grands événements du pays, le gouvernement n’a jamais cru utile de commander aux artistes des œuvres pour exalter la résistance nationale ?
Troisièmement, où sont passés les 500 soldats rwandais de la garde de Ruberwa à Kinshasa et quel rôle jouent-ils dans la capitale ?

Il appartient aux élites congolaises de démontrer avoir compris la nature et la hauteur des enjeux. Une chose me paraît absolument sûre : si la gouvernance ne change pas radicalement, l’unité, voire l’existence de notre pays est en danger.

Demain Le Congo.

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